Petit brief historique de la maison
Dans l’intimité de Vever, exposition du 1er juin au 11 août 2023. Une cinquantaine de pièces au total étaient réunies provenant de la collection maison ou prêtées par des galeristes et collectionneurs. À l’origine de cette merveilleuse initiative : Camille et Damien Vever, les descendants directs de Paul et Henri font revivre la maison depuis 2021, remettant en lumière deux siècles d’histoire et de création.
Après un petit point chronologique, entrons directement dans le vif du sujet. Pierre-Paul Vever fonde la maison en 1821 à Metz. A la mort du fondateur, son fils Ernest reprend l’activité. A cette époque il s’agit principalement de bénitiers et de soldats de plomb. Les commandes sont en effet destinées au clergé et à l’armée.
Il faut attendre 1871, avec le rachat de l’entreprise Baugrand (Beaugrand) et Marret installée au 19 Rue de la Paix pour que la joaillerie devienne le domaine de prédilection de la maison Vever.
Les Vever : géniaux dénicheurs de talents
Pendant une vingtaine d’années Ernest puis Paul et Henri se démarquent clairement de leurs concurrents. D’une part grâce à leur apprentissage auprès des grands de la place d’autre part grâce à leurs créations « maison ». Mais aussi grâce et des collaborations finement choisies pour les Expositions Universelles. Autour de 1900 la maison connaît son âge d’or, son aura est mondiale. Vever remporte cinq grands prix lors des expositions et compte notamment parmi ses clients le Shah de Perse, la famille impériale de Russie, quelques comédiennes comme Julia Bartet et des horizontales Apollonie Sabatier ou Caroline Otero.
Grâce aux talents conjugués de la maison et d’illustres artisans joailliers artistes de l’époque comme Lucien Gaillard, René Lalique, Léon Gautrait ou encore Frédéric Boucheron, la modernité est en route !
La modernité passe par les objets en eux-mêmes, leur style, les formes et dessins préparatoires, les techniques et les matériaux utilisés.
Des modèles emblématiques
Du côté stylistique deux courants se rencontrent et s’enrichissent : le Japonisme et l’Art Nouveau.
Japonisme parisien
Depuis l’ouverture du Japon à l’Occident (Ere du Meiji autour de 1870) les fins lettrés français se régalent avec des estampes, des laques, des peignes, des barrettes et des pendentifs aux lignes inspirées par l’Asie. Les frères Vever ne sont pas en reste. Ils prennent goût aux estampes, aux armures, aux tsuba et inro, admirant la précision des laques et des motifs totalement originaux pour l’époque. Ils font partie de l’intelligentsia parisienne du tournant du XXème siècle fréquentant les collectionneurs, artistes et cercles de japonistes comme Messieurs Gillot, Rouart, Marx, Steinlein ou le magasin des Bing.
L’Art Nouveau
Et puis, quasiment concomitamment en Belgique et en France, les lignes se font lianes. L’ornement est végétal, féminin et alangui. Il y a aussi les recueils de gravures figurant la faune dans ses moindres détails. Dans ce bestiaire animé hirondelles, libellules ou créations mystiques virevoltent autour d’œillets et de monnaies du pape.
Les techniques joaillières évoluent : de nouveaux alliages apparaissent, des patines aux couleurs insolites sont appliquées -notamment grâce aux brevets de Gaillard. On raffole du laque que l’on applique aux accessoires et aux bijoux.
A la même époque on s’affranchit des matériaux classiques : on orne les pièces de matières organique (comme l’ivoire) et même de pierres de synthèse, comble de la modernité. Du côté des couleurs on reprend les techniques de l’émaillerie religieuse des XVème et XVIème siècles comme le plique-à-jour ou l’émail peint pour les pousser à un degré ultime de perfection.
Le célèbre René Lalique connaissait bien Henri Vever. En témoignent leurs collaborations, ses correspondances ainsi que les charmantes marguerites redécouvertes récemment à l’occasion du lancement de la nouvelle maison Vever en 2021.
Nous pouvons ainsi découvrir une émouvante demi-parure en or émaillé figurant des motifs de marguerites présentée. Une paire de boucles d’oreilles et une broche, conservées dans une boite de service. Grâce à une note en photo ci-dessous, écrite par une personne probablement née dans les années 1920-1930, nous apprenons qu’en 1898, Marguerite la fille de Henri Vever, fêtait ses 12 ans. Pour l’occasion, René Lalique lui créa ces pièces, riches de pureté et d’innocence.
Enfin, une des pièces les plus caractéristiques du style de la Maison Vever aux débuts du XXe siècle est cette broche pendentif en or jaune, émail et diamants datant de 1900, représentant une femme libellule. Cette broche, en couverture du catalogue donné par la Maison Vever lors de l’exposition, est bien caractéristique de l’Art Nouveau. Tout y est : la faune, la flore et la femme. Il s’agit d’un visage de femme de profil, le regard plongé dans la verdure environnante émaillée, de son chignon naissent des ailes de libellule orangées.
Les années d’insouciance avant la guerre 1914-1918
Pour se remettre dans le contexte d’une époque et la vie d’une famille, rien de tel que certains objets comme les bijoux ou les accessoires précieux. Il en va ainsi pour une pièce insolite qui m’a littéralement conquise. Il s’agit d’un étui à cigarettes en or jaune gravé en réserve de dessins propres de la période figurant à merveille les activités préférées des gentlemen.
Equivalent du bracelet orné de charms avant l’heure, toutes les activités sont figurées par une gravure en réserve émaillée des occupations préférées des personnes fortunées avant la première guerre mondiale. Chasse, sports automobile, aéronautique, tabacologie, champagne, collectionite et cercle littéraire avec la présence d’un petit chat digne à la Steinlen (le père de la célèbre affiche du cabaret le Chat Noir), la machine à remonter le temps est actionnée ! L’intérêt de l’objet repose aussi sur l’existence de la facture maison indiquant clairement les dates de commande et de livraison de l’objet. C’est le gendre d’Henri Vever qui passe commande en 1912.
La maison connait jusqu’à la première guerre mondiale un succès incontestable, devenant le meilleur diffuseur de l’Art Nouveau en matière de joaillerie. Après quelques années de sommeil, il semble que la Belle au bois dormant trouve un nouveau souffle grâce à la relève familiale.
En effet, Camille et Damien Vever ont repris le flambeau en 2021 développant une ligne de bijoux aux thèmes chers à Henri et Paul : la femme, la flore et la faune. Et en 2023 la success story se poursuit : après Paris, Londres, Bruxelles, et Doha un nouveau point de vente ouvre à Dubaï !
L’exposition Dans l’intimité de Vever présente l’histoire de la maison, de sa création à aujourd’hui.